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Ago 05

Faut-il vraiment s’inquiéter du ralentissement de la Chine?

Après des années d’hyper croissance, le pays a engagé une transformation bien réelle mais porteuse de risques, notamment sur le front de l’immobilier, de l’endettement, du yuan et de l’industrie. Le monde retient son souffle.
Asie
C’est le chiffre du jour, guetté par les marchés financiers du monde entier. La Chine a publié ce mardi matin le taux de croissance de son PIB pour l’année 2015. Encore récemment, des responsables chinois indiquaient qu’il serait «proche de 7%», conformément à l’objectif fixé par le président Xi Jinping? Le chiffre offiicel s’établit finalement à 6,9 % . Comme attendu, il s’agit bien du rythme de croissance le plus faible qu’ait connu la deuxième économie mondiale depuis plus d’un quart de siècle. Ce ralentissement de la croissance chinoise a beau remonter à cinq ans, il affole les marchés, particulièrement depuis le début de cette année. À commencer par les Bourses de Shanghaï et Shenzhen, qui ont essuyé un krach. L’indice composite CSI300, qui synthétise les performances des deux grandes places financières de la Chine continentale, a perdu près de 16 % de sa valeur même si les Bourses ont finalement accueilli positivement le chiffre publié mardi. Toujours est-il que le rebond opéré après le cyclone boursier du mois d’août est effacé. La grande nervosité boursière est-elle justifiée? «Les marchés financiers ne traduisent pas une dégradation réelle de l’économie», assure Sébastien Djaoui, spécialiste de la Chine à la banque japonaise Nomura. «Je ne suis pas inquiet par la Bourse, elle a zéro impact sur la dynamique de l’économie en Chine», renchérit Steen Jakobsen, économiste en chef de Saxo Bank. Un sentiment d’autant mieux partagé que les actions représentent moins de 10 % du financement des entreprises et du patrimoine des ménages. Alors où en est réellement «l’atelier du monde» que son contremaître en chef Xi Jinping entend transformer en centre de production à haute valeur ajoutée et en immense marché de consommation?

Un coup de frein réel…
C’est un fait acquis, depuis le rebond qui a suivi la crise de 2008-2009, le rythme de croissance du PIB s’essouffle. Seulement les économistes dans leur ensemble doutent de la fiabilité de ce chiffre officiel qui reste accroché à 7 %. Beaucoup estiment la «croissance réelle» plus proche de 5 % quand Natixis la voit carrément autour de 2 % ou 3 %. En Chine même, certains responsables préfèrent mesurer la production de richesse avec d’autres indicateurs que le PIB. Ce fut le cas de Li Keqiang, avant de devenir l’actuel premier ministre, qui jugeait la consommation d’électricité (tirée majoritairement par l’industrie), le fret ferroviaire et le crédit bancaire, comme un triptyque pertinent. Or, depuis la fin 2014, cet «indice Keqiang» progresse de moins en moins vite, à un rythme inférieur à 5 %. Globalement, les indicateurs avancés restent mal orientés, la production d’acier par exemple est au plus bas depuis plusieurs mois, confirme Natixis.
Autres symptômes du ralentissement de «l’atelier du monde», les exportations ont reculé de 1,6 % l’an dernier. Plus éloquent, les importations ont plongé de 13 %. De quoi inquiéter à juste titre les fournisseurs de la Chine, au premier rang desquels figurent les pays émergents exportateurs de matières premières.
L’une des explications couramment retenue pour justifier ce coup de frein est que l’industrie chinoise a perdu en compétitivité à mesure qu’augmentaient les salaires des ouvriers. Pour autant, la Chine s’achemine-t-elle vers «l’atterrissage brutal» que redoutent ces temps-ci les marchés financiers?
Mais pas d’arrêt brutal
Chez Nomura, on ne voit «pas d’accélération de l’aggravation» de la santé économique chinoise. Les économistes, pour la plupart, préfèrent parler de stabilisation. Le marché automobile illustre cette tendance. Les ventes de véhicules ont nettement ralenti en 2015 pour toucher leur rythme le plus faible depuis trois ans. Mais on parle bien toujours d’une croissance, de 4,7 % tout de même, et de 7,3 % pour les seules voitures individuelles.
Le cap donné par le timonier Xi Jinping, lors du plénum du Parti communiste chinois (PCC) de novembre 2013, vers une libéralisation de l’économie et une croissance nourrie davantage par la consommation intérieure plutôt que les investissements publics et les exportations, est toujours salué par les économistes occidentaux. L’internationalisation croissante du yuan, consacrée en novembre dernier par son entrée dans les DTS, le panier de devises du FMI, participe de cette libéralisation.
Une transformation en marche
À n’en pas douter, la transition promue par les dirigeants chinois est en marche. Un exemple pour s’en convaincre. Les recettes des salles de cinéma dans l’empire du Milieu ont bondi de 50 % l’an dernier et ont plus que triplé en cinq ans. À ce rythme, selon Nomura, le box-office chinois rapportera autant d’argent en 2017 qu’aux États-Unis. Ce n’est pas anecdotique: une sortie au cinéma génère d’autres dépenses, souligne Sébastien Djaoui, restaurant, transport, baby-sitting, pourquoi pas. La consommation de loisirs et de services est en plein essor. Les 270 milliards de dollars dépensés l’an dernier par les touristes chinois, selon le chiffre évoqué par l’économiste de Saxo Bank, confirment la tendance. Tout comme les quelque 600 millions d’internautes de l’empire du Milieu, avides d’acheter en ligne sur les sites d’Alibaba, emblématique réussite d’un entrepreneur privé, Jack Ma.

Ce bouleversement se lit dans les grands indicateurs macroéconomiques: le poids des services dans le PIB dépasse depuis quatre ans celui de l’industrie, avec 48,1 % et 42,7 % respectivement. L’industrie emploie certes toujours plus d’employés que le tertiaire, mais ce dernier secteur fait désormais travailler autant de Chinois que l’agriculture, laquelle a perdu 140 millions de travailleurs en quinze ans. Enfin, tandis que la richesse produite par l’industrie stagnait fin 2015 selon la Banque mondiale, celle des services augmentait au rythme d’environ 12 %. Le rééquilibrage de l’économie est bel et bien à l’oeuvre. Typiquement, la Chine se trouve dans le «piège du revenu intermédiaire». Le pays est devenu trop riche, donc trop cher par rapport à ses concurrents industriels – Vietnam, Philippines ou Éthiopie – mais n’a pas encore trouvé les moteurs d’une production à haute valeur ajoutée capable de damer le pion au Japon ou à la Corée du Sud. La transformation de l’économie chinoise prendra du temps. Or, quatre menaces au moins sont susceptibles de provoquer cet «atterrissage brutal» tant redouté dans le reste du monde.
De lourdes menaces persistantes
Pour certains économistes, le risque majeur systémique en Chine reste le krach immobilier. L’excès de logements généré par les investissements massifs dans la construction pour relancer l’économie en 2009 devrait toutefois se résorber autour de 2017, puisque le rythme des mises en chantier a ralenti. Beaucoup de ces «villes fantômes» brocardées ces dernières années finissent par se remplir et à connaître aussi les embouteillages, nuance Samy Chaar, économiste à la banque Lombard Odier. Surtout, si la réforme – repoussée – du hukou (le passeport intérieur) était finalement adoptée au printemps, des millions de familles rurales pourraient occuper les appartements en surnombre dans les villes moyennes. La Banque mondiale a évalué que la réforme du hukou, c’est-à-dire la liberté de s’installer partout dans le pays, pourrait avoir un impact positif majeur sur la croissance. La menace immobilière plane toujours mais diminue.
Deuxième risque, l’endettement. Depuis la crise de 2008 et la stimulation du crédit et de l’investissement orchestrée par les autorités, l’importance de la dette dans le PIB a doublé. Ce n’est pas tant l’endettement de l’État (41 % seulement) qui préoccupe que celui des autres acteurs économiques, collectivités locales, entreprises et ménages. Les entreprises d’État sont lourdement endettées en dollars, et l’endettement des gouvernements locaux est loin d’être transparent, met en garde Philippe Le Corre, de la Brookings Institution. Le montant des créances douteuses des banques chinoises aurait doublé en 2015. L’histoire a montré qu’une hausse excessive des dettes peut s’avérer insoutenable, avertit la Royal Bank of Scotland (RBS).
«La Chine n’arrive pas à se sortir de l’emprise du parti sur la société, les entreprises, la Bourse.» Philippe Le Corre, de la Brookings
Troisième risque, qui inquiète beaucoup les marchés en ce mois de janvier: la faiblesse du yuan. Les autorités assurent qu’elles ne veulent pas d’une guerre des monnaies. Mais le fait est que 500 milliards de dollars ont quitté la Chine depuis août. «Ce n’est pas forcément la traduction d’un vent de panique ou d’une défiance vis-à-vis de l’économie nationale», tempère Sébastien Djaoui. Les Chinois investissent à l’étranger. Mais une forte baisse du RMB (renminbi, autre nom de la devise chinoise) exporterait de la déflation dans le monde tout en trahissant une préoccupante fragilité de la Chine.
Enfin, le quatrième risque est la persistance des mastodontes industriels, publics pour la plupart, en surcapacité. «Tant qu’il n’y a pas plus d’annonces de banqueroutes et de licenciements, la transformation de l’économie ne se fera pas», analyse Sébastien Djaoui. John Zhu, de HSBC, abonde. Pour lui, la clé de la mutation chinoise passe par les gains de productivité, donc par des investissements ciblés plus que par la stimulation de la demande. «Nous ne pouvons différer davantage le nettoyage des entreprises zombies», écrivait récemment Chen Changsheng, membre d’un cercle de réflexion gouvernemental, cité par The Economist. «Les antidouleurs et les transfusions sanguines ne sont plus de mise, il faut faire de la chirurgie lourde.» Sévère, Philippe Le Corre, de la Brookings, juge le mal profond: «La Chine n’arrive pas à se sortir de l’emprise du parti sur la société, les entreprises, la Bourse.»
Les nuages s’amoncellent dans le ciel chinois et menacent de s’étendre sur l’ensemble de la planète. Pour la Banque mondiale qui vient de publier ses prévisions 2016, l’onde de choc du ralentissement de la Chine est bien le «plus grand risque» pour l’économie mondiale. «Il n’est pas possible de complètement écarter le risque d’une nouvelle crise économique» dans le monde, appuie Yang Jiechi. Le propos est d’autant plus inquiétant qu’il émane d’un très haut responsable chinois, membre du Conseil d’État. Mais gageons ici que le scénario de l’«atterrissage en douceur» prévaudra. La présentation du XIIIe plan quinquennal au mois de mars donnera des indications sur le chemin poursuivi par le pragmatique camarade Xi, qui concentre les pouvoirs comme jamais en Chine depuis Mao.

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